Kiusk
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Brinkley et le chaos hippique

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Brinkley et le chaos hippique Empty Brinkley et le chaos hippique

Message par Kiusk Lun 16 Aoû - 7:29

Brinkley était rentré au manoir. La nuit était tombée. Dans le ciel épais et visqueux brillaient quelques astres pâles. En face, dans la colline avoisinante se détachaient les lumières des maisons du bourg.  Brinkley but son cognac avec quiétude et sérénité. Depuis longtemps, il n’avait pas ressenti un tel bien-être. Son recueil de poésie était grand ouvert, éclairé par une simple ampoule suspendu au plafond. Le chat se promenait dans la cuisine à la recherche d’un peu de nourriture. La fenêtre était grande ouverte sur le paysage alentour.  Brinkley pouvait jouir avec  calme  de sa dernière victoire.
« Watson, il ne manque plus grand-chose à mon bonheur présent. Si seulement on pouvait accepter mon recueil de poème. Nous serions les rois du monde. Mais soyons patient, Watson. Et lisez donc plutôt ceci. C’est l’un de mes chefs d’œuvre »:



Quand Dieu débarquera sur Terre,
Il aura grande tristesse de voir tout ce nid à chagrin,
Et quelle sera sa colère!
Alors il fera déferler partout les embruns.

Seuls les justes seront sauvés,
Le jour du jugement dernier.
Et les villes de Satans,
disparaitront sous les eaux.

Les chiens aboieront,
quand les caravanes s'eclipseront
vers des plaines plus lointaines
Sous la lune en flammes.

Les hommes comprendront alors,
qu'ils s'étaient trompés.
Et face à la haine de Dieu,
Ils imploreront sa pitié.

«  Le jugement dernier, voilà ce qui nous préoccupe, Watson ! Viendra le jour, où nous devrons rendre compte de nos actes. Mêmes les plus lâches ! Et face au créateur, même vous, n'en mènerez pas large. Car nous ne sommes dans le fond que des pantins pitoyables face à l'éternité.  Quelle forme prendra le créateur, quand il viendra sur terre, ça, même moi, je ne peux encore le savoir ! »

Brinkley continuait à dialoguer avec son double schizophrénique Watson. Il entreprit de chercher dans la cuisine, cette confiture aux myrtilles que tous deux adoraient tant.  Les courses de pur-sang avaient porté leur fruit. Et ils pourraient mener une vie confortable pour quelques mois encore. Mais Brinkley connaissait les véritables enjeux de l'univers et percevait dans le lointain, des forces plus obscures qui pourraient mettre à mal leur fragile équilibre. Pour l'heure, lui et Watson devaient s'alimenter. Le chat, intéressé par toute cette agitation, pointa le bout de son nez à la fenêtre.
« Un peu de confiture aux myrtilles, c'est un vrai bonheur ! De l'essentialité de la protubérance nasale à travers le chaos hippique, Watson. Du flair, voilà ce qu'il nous faut, à nous autres, hommes du turf ! Dieu, dans sa grande miséricorde, nous a accordé ce don pour l'étude.  Les courses exigent une maitrise et une science que les astrophysiciens nous jalousent. Car c'est bien ce que je suis, Watson, un homme de sciences. Un esprit éclairé ! »
Depuis longtemps, Brinkley imaginait que Dieu descendrait sur terre, accompagné de ses anges, dans un vaisseau spatial. Il rendrait alors justice et punirait les hommes. Un raz de marée se répanderait sur les cités et seuls les justes seraient sauvés. Ce serait le jour du jugement dernier. Sur la table de la cuisine, il entreprit de dessiner la soucoupe  volante telle qu'il se la représentait et telle qu'elle apparaitrait dans le ciel aux yeux des hommes. Satisfait de la courbure du vaisseau, Brinkley se décida à aller dormir.




O Azatopeque, Philéandre, Epistophène!!
Quel est donc ce vacarme??? Ne voyez-vous donc rien???
Les cavaliers de la horde de Gogol qui chevauchent sur la plaine bleue immaculée!!!
Ils brûleront tout sur leur passage, et ne laisseront que ruines et cecités!!!

O Azatopeque, Aglaé et Sidonie !!
Eclairez nous de vos lumières, et tapotez sur vos tambours!!
Que l'esprit de Romulus nous guide derrière ce rideau de manigance!!
Ce sont des orbites géantes qui nous scrutent et nous observent!!
Voyez ici, se trame, complot, cabales qui se fomentent!!!


Brinkley referma son recueil de poésie. Par la fenêtre, notre héros pouvait apercevoir le cerisier en fleur.  Le printemps faisait son apparition. Brinkley prit ses jumelles et observa les chevaux à la ronde.
«  Watson, voilà enfin la période tant espérée. Le printemps est la meilleure saison pour les courses. Mes dadas vont cette année m’assurer  grande richesse. Bientôt nous mangerons du homard ! »
Brinkley entreprit d’ouvrir les quotidiens hippiques et se plongea dans l’étude. Un rayon de soleil apparut dans la cuisine .
Goliath était le propre fils de la bonne Lumière Divine qui avait remporté la triple couronne. Cette championne avait enfanté, elle-même  des cracks qui avaient brillé sur tous les hippodromes. Goliath participait à cette course, comme une évidence. Mais Brinkley, sûr de son flair, doutait du favori.
«  Watson, ce cheval est un âne bâté. Je l’ai vu dernièrement. Il n’a aucun changement de vitesse. De surcroit, le terrain est souple... Non. Je vais jouer Marchand d’or.  Cela doit être son jour »

     Le vent balayait la plaine. Brinkley vagabondait dans le sentier qui menait à la ville. Le chemin dessinait un zigzag qui reliait le manoir à un pont suspendu.  Il se souvint de son grand-père qui le menait jadis sur les hippodromes. C’était un souvenir magnifique. Un rayon de lumière vint éclairer une partie de la campagne.   La ville apparaissait au regard de Brinkley. C’était un vague bourg, comme il y en a tant en province. Que de bruits qui insupportaient les oreilles de notre héros !

« Maudit soit toute cette populace, Watson ! C’est bien simple s’il n’y avait nos affaires à régler, je n’y mettrais pas les pieds. Comme nous sommes bien au manoir ! Cette fin de mois fut difficile.  Pour gagner, il faut s’en remettre à de savants calculs.    »
Dans le lointain, une horde de corbeaux croassaient en chœur, et Brinkley y vit un signe de mauvais présage. Marchand d’or participait à la course à seize heure. Brinkley s’installa à la terrasse du café de l’hippodrome.
Marchand d’or était dans les stalles de départ. En haut des tribunes étaient installés des haut-parleurs, où l’on pouvait entendre les commentaires de la course. Brinkley avait misé ses dernières ressources sur ce cheval.  Il pointait ses jumelles sur la stalle n°6. Le cheval était à 10/1 et si Brinkley avait vu juste, il ferait un bénéfice conséquent.  Ce fut le signal de départ. La piste en herbe s’étirait au loin. Marchand d’or prit la tête de la course. Brinkley réfléchit et pensa que sur ce type de terrain, il fallait mieux aller de l’avant. La casaque bleue luisait au soleil.
Brinkley se mit à beugler à tue-tête. Il supportait le pur-sang et  son pelage gris. « Hourra » hurlait-il, à la stupeur de ses voisins. Les chevaux rentraient dans la dernière ligne droite. Brinkley était fou de joie.  Marchand d’or avait six longueurs d’avance.  Notre héros tenait en main son journal, et se servait de celui-ci comme d’une cravache imaginaire.  Le pur-sang passa le poteau en tête. Brinkley exultait. C’était le jour de son triomphe. Marchand d’or était un crack. Il y aurait du homard pour le repas du soir !

     « Combien de fous avez-vous encore ramassé dans les bars ? Vous êtes en somme un ivrogne, Watson ! Nul doute qu’à ce train-là nous ne bâtirons jamais notre œuvre littéraire loufoque. C’est à la vérité un désastre»
La pluie tombait sans discontinuité sur le manoir de Brinkley. De sa fenêtre, il contemplait la plaine qui s’étendait sur de vastes rectangles verts. Brinkley scrutait le galop des chevaux à travers ses jumelles, et comme chaque jour dialoguait avec son double schizophrénique, Watson. La pièce était vide. Seul un fauteuil et un bureau meublaient cette chambre au papier peint bleu. Sur ce dernier, on trouvait divers manuscrits et quelques quotidiens hippiques. Brinkley, depuis fort longtemps déjà, était passionné par le jeu et nourrissait le vague espoir de parvenir un jour à vivre de ses chimères. Ses voisins en étaient convaincus, le pauvre homme devenait fou. Pas une soirée, où l’illuminé ne se lança dans quelques monologues délirants. Dehors, les feuilles jaunes de l’automne tombaient sur le gazon d’où dépassaient des mottes de terre. Brinkley rageait :

« Quel est donc ce vacarme! Et fermez donc cette fenêtre! On ne s'entend plus penser! Au diable tous ces ploucs!! De mon génie improbable et mes visions célestes, à leur regard égaré, mes volets resteront fermer! Vous m'entendez Watson!! Plus une once de mon âme ne transparaitra jusqu'à leur esprit aviné!! Les génies et les saints, de tout temps auront été malmené! Mais vous m'entendez Watson!! A l'heure du jugement dernier, je me dresserais droit comme un I. Et j'appelerais à la barre:  Ignatus Reilly, Gogol 1er, Pierrot le fou,  et CasseBonbon47... Et ils diront tous la même chose Watson... Ils s'exclameront d'une seule et même voix : Brinkley est un saint auréolé de la lumière divine!"

Brinkley sortit de ces tiroirs quelques cahiers. Il conservait à l’intérieur de ceux-ci, l’intégralité des arrivées  des courses de plat de l’année. La lumière du plafond reflétait les casaques colorées, et Brinkley ressentit en leur présence, la certitude qu’il serait amené à devenir tôt ou tard le maître du jeu.Mais pour l’instant, il avait d’autres soucis. Le postier n’était toujours pas passé au manoir. Il attendait une réponse de son éditeur. Son œuvre fantasmagorique se devait d’être publiée. Watson et lui voyaient tous deux leurs ressources diminuer.  
Dans son manoir, Brinkley contemplait le ciel étoilé. Il songeât que tout cela n'était que pure folie. Dehors, on tambourinait à la porte. Agacé, il se demanda qui pouvait bien être cet importun qui venait le déranger dans son étude.
         
- Jetez lui une bassine d'eau. Qu'il cesse d'hurler sous nos fenêtres.                              
- Huissier, sumo ou cosmonaute, je n'en ai cure. Il me dérange dans mes recherches.
     
 - Ah le monstre, voilà qu'il continue. Jetez lui une bassine, vous dis-je

Après le printemps, Brinkley n’avait pas été inspiré. Il ne cessait de perdre et l’huissier passait régulièrement au manoir. Brinley se mettait à douter de son génie. Par la fenêtre, il aperçevait des formes obscures qui ne présageaient rien de bon. Le chat avait maigri et Brinkley économisait désormais sur l’électricité. Le vent de la défaite s’acheminait à proximité de la demeure. Seule une ampoule au plafond éclairait la cuisine où Brinkley écrivait un poème.

O Azatopeque, Epistophène, rappelez les troupes.
Je crains qu’ici tout ne soit qu’artifices et sortilèges !
La neige a recouvert la plaine bleue immaculée.
Et Philéandre pleure le  jour de la défaite.

Par la fenêtre, les premiers flocons de neige tombaient au sol. Brinkley avait les larmes aux yeux. Il se dirigea vers l’armoire de la cuisine et sortit d’un tiroir le revolver. Il entreprit de le nettoyer sous la lumière du plafond. Dehors la nuit était froide et glacée.  Brinkley avait perdu la foi.

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Safia Salam aime ce message

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Message par Safia Salam Mar 17 Aoû - 13:08

Bonjour Kiusk,

Ce texte est magnifique. Je suis très impressionnée.

Le style est très harmonieux, les mots sont précis et décrivent si bien tantôt un petit détail comme l'ampoule au plafond ou la motte de terre, tantôt une situation complexe, comme ce double schizophrénique et la chaise solitaire. C'est d'une précision et d'une subtilité dans la diffusion de l'information incroyables.

La trame s'achemine vers un dénouement si tragique, si triste, et que rien dans le début ne laisse présager. La trame est admirablement tissée. Tissage de la réalité et de l'illusion.

Ce monde de schizophrénie est très bien présenté, au point que ca me parait un état tout à fait normal, dans lequel je pourrais glisser naturellement.

Les passages poétiques sont si parlants, ils en disent long sur la situation.

Il reste quelques coquilles.

Vous savez que je ne flatte pas. Tous mes compliments.

Bonne nuit !


Dernière édition par Safia Salam le Lun 23 Aoû - 3:19, édité 1 fois

Safia Salam

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