Un singe sous camisole
Page 1 sur 1
Un singe sous camisole
J’ai compté jusqu’à cinq, et puis je me suis dit, je m’endors et je ne me réveille plus. J’ai caressé les petites pilules bleues dans ma main…Switch…Switch…C’était comme un doux frisson ! Puis j’ai laissé tomber. Je n’avais pas envie de mourir. Finalement, j’ai fait la queue devant l’infirmerie pour prendre mes médicaments. L’idiot attendait derrière moi. Son visage se découpait sur le mur pâle. J’avais une étrange impression. Comme si, il allait fondre. L’infirmière m’a invité à avaler le Risperdal puis je suis parti au salon. Il y avait le gros qui avait voyagé en soucoupe volante. Il jouait aux échecs avec l’autiste. Un grand écran diffusait des clips musicaux. Ils respiraient le mauvais goût. Voilà plusieurs jours que j’étais à l’hôpital psychiatrique. Et je tournais en rond. J’aurais voulu pouvoir jouer aux courses ou boire un soda dans la fraicheur d’une terrasse. Le psychiatre m’avait dit la veille que j’étais schizophrène et cela me tourmentait. Je me sentais déprimé et seul. J’ai songé à une fille que j’avais connu. Elle, aussi, m’avait abandonné. Dehors, l’herbe était recouverte de neige. C’était l’hiver 2011. La roue avait tourné.
La vieille chinoise s’est mise à hurler. Elle était au bout de la table. Elle ne faisait pas semblant. Elle était vraiment agitée.
“ Corbeaux. Corbeaux. C’est tous des corbeaux!”
Les infirmières ne réagissaient pas. La vieille continuait pourtant à hurler. J’ai essayé quand même de manger malgré ses cris. On devait être un vingtaine dans la salle de réfectoire. Aux murs étaient exposés les tableaux des patients. Au bout de quelques minutes, la chinoise se calma. On put manger tranquillement. Cela faisait déjà une semaine que j’étais à l’hôpital. J’entendais toujours des voix. J’avais sympathisé avec un patient. Son truc à lui, c’était les extraterrestres. Ils s’adressaient à lui. D’autres se prenaient pour Dieu ou des personnages célèbres. Après le repas, on avait droit à une pause cigarette. Cela se passait dans la cour. On pouvait s’asseoir sur des bancs dehors malgré le froid.
Le gros qui avait voyagé en soucoupe volante répètait inlassablement :
- Rh heu…Rh heu…La sphère se rapproche…Nous devons partir.
Nous étions tous là, dehors, dans le froid de l’hiver. Dans le petit jardin, la neige tombait sur l’herbe encore verte. Et si c’était simplement la fin du monde ?
-Quelqu’un veut une autre cigarette, proposa l’infirmière.
C’était Décembre. Je déambulai dans les couloirs aux murs pâles. On était nombreux à être désoeuvré. A cause des médicaments, je ne pouvais lire. Impossible de se concentrer. Certains jouaient au baby-foot près du réfectoire. On entendait toujours des cris ici ou là. Marcher dans les couloirs, cela occupait le temps. Parfois on rencontrait un autre malade. On discutait alors de ce qui nous était arrivé. Pour ma part, j’étais monté sur le toit de ma maison tandis que j’entendais des voix. Depuis j’étais hospitalisé à l’hôpital P. J’occupai une chambre avec un autre patient. Partout c’était des murs blancs. Sur une table basse, j’avais installé des livres et des magazines mais à part regarder les images, j’étais incapable de rien. J’évoquai ce problème avec la psychiatre de l’établissement. Elle me répondit qu’il me faudrait du temps pour me remettre de cette crise-là.
Dehors, on avait installé sur la terrasse une grande table et des chaises. On sortait tous pour fumer. S. était persuadé que tôt ou tard les extraterrestres débarqueraient sur terre. C’étaient eux qui nous envoyaient ces messages télépathiques dans nos têtes. J’étais perplexe. Pourtant, je continuais à entendre des voix malgré les médicaments. Une des patientes racontait que son père était Dieu. Sur la table, on pouvait lire des inscriptions étranges sur Jésus ou les extraterrestres. Petit à petit, on s’habituait à ce nouvel environnement. Les infirmières nous surveillaient. Nous étions là pour un moment.
L’autiste était un génie aux échecs. C’était simple, personne n’arrivait à le battre. Et il détestait perdre. Que cela soit au ping pong ou à un jeu de cartes, cela le mettait dans des colères noires. Le seul qui acceptait de jouer avec lui était S. Dans le réfectoire, ils installaient l’échiquier. Mais les parties étaient souvent courtes. L’autiste était le plus fort. Pendant ce temps là, les patients aimaient allumer la télé. Ils regardaient des clips musicaux insupportables. Dans ces moments là, je partais dans ma chambre.
La psychiatre me conseilla de participer à une psychothérapie. Il s’agissait de raconter son histoire. Dans le fond, c’est un peu ce que je faisais en écrivant mon journal. On devait remonter jusqu’à l’enfance, comprendre ce qui n’avait pas marcher. J’étais dans un tel état que je ne déclinais pas l’offre. Après tout, c’était la seule alternative qui m’était proposé.
J'ai allumé une cigarette. La lune baignait dans la voûte céleste sombre et bleue. De par la fenêtre, j'observais le chat qui se promenait sur le toit. J'étais enfin sorti de l'hôpital psychiatrique et c'était le début d'une nouvelle vie. Quel horizon m'attendait au dehors ? J'ai pesté contre la terre entière...Le gros avait ricané d'un air mauvais.
-Imbécile, on est toujours en prison, il avait dit.
Les arbres étaient auréolés de fleurs blanches aux feuilles vertes pâles. Le chat, Gogol marchait maintenant dans l'herbe. Combien de malades, j'avais croisé sous le firmament étoilé ? Ils étaient tous là, attablés dans le petit parc de l'asile. Une drôle de prison où finissaient les âmes égarées !
-Bordel à queue, ce cheval ne vaut pas un clou, avait crié la vieille.
Je me suis installé en terrasse, et ai commencé à boire un café.
J'observais le ceriser en fleur au fond du jardin. Le chat Gogol vint me rejoindre à mes pieds. Et si la vie était malgré tout agréable. Je caressais le chaton avec calme.
Le cerisier était vêtu de fleurs roses où s'immisçait le vent. C'était l'heure de mes médicaments. Parfois, j'entendais des voix dans ma tête. Pour l'heure, je devais réfléchir aux jours prochains. Il y avait du monde à voir. Partout, de nouvelles couleurs à décrire sur le papier.
On pouvait apercevoir sous la lune de petites maisons blanches nichées sur les collines dorées par les champs de blés. Le dimanche on jouait au ping-pong ou on se baignait dans la piscine. J’étais parti à la campagne, histoire de me refaire une santé. Je n’entendais plus de voix mais je restai assez déprimé. Je lisais le postier, le premier roman de Bukowski. Il y a dans son écriture une véritable énergie, celle d’un puncheur. J’étais bien incapable malgré mes tentatives d’arriver à son niveau. Je me forçais pourtant à écrire afin de ne pas sombrer. Mon père paraissait inquiet de ma situation. Mais j’étais bien incapable de redresser la barre. Dans la chambre, je me reposais en attendant que mon mal passe.
A la campagne, mon grand-père jouait aux courses. Tous les matins, on partait en mobylette faire un tiercé dans un café de campagne. Il m’expliquait le but du jeu, les meilleurs coups, comment trouver les chevaux gagnants en lisant le journal.
Sur la table de la cuisine, cela sentait bon le café que préparait ma grand-mère avec un petit moulin, une antiquité. Mon grand-père m’apparaissait comme un géant à la force Herculéenne. Il arborait fièrement une casquette sur sa tête. Pépé avait traversé la guerre, prisonnier dans les glaces de Russie.
-C’est facile ça… gagner aux courses, je lui dis !
-Gros malin…C’est très compliqué, il me répond en riant.
C’est ici que ma vie a débuté, dans la maison du moulin à Sainte croix avec Pépé et Mémé Oizo et moi, le gros malin. On entend les canaris siffler dans la cage bleue. Le temps est au beau fixe. C’est un drôle de soleil qui vient illuminer les étendues vertes. Moi, ce que j’aime, c’est les histoires. Je ne sais pas lire encore. Mémé Oizo me fait la lecture, au bord du canal qui longe la maison. Sur la bordure du pont, le chat Mickey mange une sardine. A côté il y a cette magnifique grange à l’ombre d’un cyprès.
-Bientôt tu pourras lire tout seul, et faire des tas de choses…Dans quelques années qui sait ce que tu deviendras ?
-Oh non…Mémé…Moi je ne saurais jamais rien faire.
-Mais bien sûr que si bêta, tu sauras faire des choses…Tu travailleras même.
Dans le salon Pépé Oizo lit le journal hippique. Aujourd’hui il est inspiré, le tiercé est à portée de main. On file dans le moulin chercher la mobylette. Je suis installé devant, les cheveux au vent. A droite, c’est des troupeaux de moutons qui broutent l’herbe épaisse. Partout il y a des côtes et des collines verdoyantes, et dans le lointain les montagnes des Pyrénées. A gauche, apparait une église et son clocher qui sonne dix coups. D’ici, on peut voir tout le village, l’ancien monastère et ses annexes. C’est un endroit d’un autre temps. On va se garer devant un petit café qui fait aussi station-essence. Pépé Oizo commande un pastis et pour moi, un diabolo menthe.
Des hippies sont attablés là avec leurs chiens. Pépé fait la discussion avec des collègues de bar. En dessous la terrasse du café coule une rivière. Des branches d’arbres forment un petit barrage en son milieu. Popeye a déjà fait perdre Pépé Oizo, la semaine dernière. Il nous doit une revanche.
-Tu n’y connais rien…Aujourd’hui c’est son jour ! Popeye va gagner de deux longueurs.
Ses amis ne sont pas convaincus. Ils rigolent.
-C’est un crève-cœur ton Popeye…Il ne sera jamais là !
Pépé est furieux. Il fulmine sous sa casquette.
Il faisait chaud. On se baignait dans la piscine. Au loin, on pouvait apercevoir les champs de blés. Je n’entendais plus de voix. Mais je n’étais pas guéri pour autant. Tous les jours je prenais mes médicaments. Les corbeaux dans les arbres me faisaient une drôle d’impression. J’avais le sentiment qu’ils étaient des messagers d’une autre dimension. Des cris retentissaient dans la campagne alentour. J’observais les carrés verts où paissaient paisiblement quelques vaches. Je décidais de m’éloigner, de faire une ballade en vélo en direction du village de mon enfance. Il y avait une quinzaine de kilomètres.
Plus je me rapprochais, et plus ressurgissaient les souvenirs enfuis du passé. Tout cela semblait graver dans les falaises, dans les bois, la forêt. Quel enfant avais-je été ? Hier encore, je parcourais cette même route sur un vélo plus petit. Dans cette ferme, à droite, j’allais chercher le lait pour ma grand-mère. Dans cette rivière, près de cet arbre, j’avais joué aux pirates avec des gamins du coin. J’éprouvais des difficultés à pédaler. La forme me manquait. Je continuais malgré tout…Urf…Urf…Envoyer de l’oxygène dans les poumons….Des douleurs intolérables dans les genoux…L’enfance était encore loin !
Je pouvais apercevoir le clocher de l’église du village. Je pédalais. A gauche, c’était le cimetière où étaient enterrés mes grands-parents ! J’avais une sensation curieuse, l’impression de visiter un hameau fantôme. Tous ceux que j’avais connus ici avaient disparu. Tous les commerces étaient fermés. Ici c’était la France d’il y un siècle. Je pouvais ressentir les esprits lointains. Ceux qui avaient fait la guerre 14-18, la France rurale. Je me souvenais également des hippies qui s’étaient installés ici. Toutes les vies du passé qui venaient flirter avec ma mémoire. Finalement, je parvenais à trouver un restaurant, que je ne connaissais pas, où je pourrai boire un verre. Je m’asseyais en terrasse. Dans le fond du jardin, c’était des bois et de la friche. Je me souvenais de cet endroit, c’était là même où je me promenais il y une vingtaine d’année. Soudain je l’aperçu, l’enfant aux yeux verts !
C’était moi, là, caché derrière un arbre, je devais avoir dix ans. Il me regardait aussi.Il me demandait ce que j’étais devenu ?
Je ne savais quoi lui répondre, mais j’avais le sentiment de me reconnecter à moi-même. Mon esprit devenait limpide !
J’étais un pirate, un apache perdu dans la vaste forêt !
J’aurais pu pleurer mais cela n’aurait rien changé à l’affaire !
Seul, le petit indien perché dans le grand chêne me regardait encore.
Le cheval était à 80/1. C’était un inédit, c’est à dire un cheval qui n’avait jamais courru contrairement à d’autres partants. J’avais consulté son profil sur la catalogue des ventes de Deauville. Je savais que le cheval était parfait. Cela me faisait drôle de revenir dans un café PMU. Je considérais ces endroits comme des sortes d’hôpitaux psychiatriques tant on croisait de cas pathologiques. Des joueurs s’étaient amassés devant l’écran de télévision. Certains hurlaient, encourageant leurs chevaux. D’autres consultaient les journaux sur un coin du bar. Tous étaient happés par les courses et bien peu n’étaient là que pour boire un verre. Je me suis dirigé au guichet et est joué vingt euros gagnant et placé sur le poulain.
- Tu vois quoi, il me demande comme ça!
- Le douze, je lui dis.
- Aucune chance, il me fait.
Je me dirige vers le bar pour me commander un café. Le cheval est dans un état magnifique comme je m’y attendais. Le seul souci est l’entraineur. Un tchèque avec des statistiques pas terribles. Mais je sais que le cheval a été acheté cher. Le poulain démarre en tête. Il a l’air en pleine forme. Sa robe alezane se découpe sur le vert du gazon. Les autres sont des mauvais chevaux. Je commence à croire à mon étoile. Il a pris trois, quatre longueurs d’avance. J’exulte. L’alezan passe le poteau en tête. Je me suis fait un salaire en deux minutes. Pas mal pour un psychotique! Je crie à tue tête dans le bar “Hourra”. Les autres me regardent.
J’ai empoché l’argent et je me suis acheté un télescope. Je l’ai installé au grenier, dans ma chambre. Dans la nuit bleue, je regardais la lune et ses cratères. Si S. avait raison, les extraterrestres se trouvaient quelque part dans le ciel. Le chat venait se frotter à mes jambes. Les astres clairs brillaient dans le firmament. Je n’étais pas grand chose, moi, au milieu de l’immensité cosmique. Quelque part, peut être, un extraterrestre entendait, lui aussi des voix. Il habitait dans un hôpital, avec ses amis martiens. Le soir, ils se lançaient dans de longs conciliabules pour envahir la terre. Et puis le chef des infirmiers venaient leur dire d’aller se coucher. Alors, ils râlaient puis finissaient par obéir. Je ne connaissais pas le nom des étoiles. Je devais lire des revues sur le ciel et l’espace.
S. était confortablement assis dans le fauteuil jaune de ma chambre, et il s’est lancé dans un long monologue tandis que ma cigarette dessinait des volutes dans l’atmosphère de la pièce. Il était question de l’invasion imminente de forces obscures. Notre civilisation n’en mènerait pas large. Finalement, il me rejoignait sur un point. La fin du monde était proche.
Pendant ce temps-là, le chat se prélassait sur la moquette et contrairement à moi, il n’était nullement impressionné par les élucubrations de mon ami. Je jouais donc avec lui, en attendant que le spectacle se termine. Par la fenêtre la lumière du soleil scintillait sur les feuilles des peupliers.
Mon esprit vagabondait à travers ces pensées confuses tandis que S. continuait son curieux discours. Il faisait chaud dans la chambre sous les toits du grenier. Ne pensez pas que je ne crois pas aux extraterrestres! De là, à les voir débarquer sous peu, je n’étais point convaincu.
S., lui, était passionné par ses théories fumeuses. Combien de minutes dura son long monologue? Je ne peux le dire. Mais, après son passage, je n’étais plus tout à fait le même. Je naviguais, désormais, dans un univers en dehors de la réalité où il était question de forces surnaturelles. Je fis comprendre à S. que j’étais fatigué et que je voulais me reposer, ce qui interrompit son discours. Mais, le lendemain, fut une journée pénible où je fus parfaitement épuisé!
Au centre, on se demandait à quoi ressemblait les extraterrestres. Pour ma part, je n’étais pas convaincu de leur existence. Mais S. nous démontrait par A+B que leur intervention était proche. S. les entendait jour et nuit dans sa tête. Il tentait également de capter leurs fréquences sur sa radio. Les autres penchaient du côté de S. Ils étaient convaincu qu’il avait raison. Tôt ou tard, les extraterrestres allaient apparaitre.Ils étaient des êtres beaucoup plus intelligents que nous autres. Un patient s’était mis à la sculpture pendant les activités. Il tentait de reproduire fidèlement leur apparence. L’ensemble ressemblait à de l’art africain Les silhouettes des créature avaient quelque chose d’inquiétant dans la salle d’ergothérapie. Mais ils connaissaient leur lot de succès auprès des autres patients.
- Les extraterrestres vont trouvé la solution pour l’humanité.
- Il faut sauver la planète, dit le gros.
Tout cela mettait de l’animation au centre. Je continuais à écrire sur la bande. Peut être qu’ils avaient raison. Le jour du jugement dernier était proche. Le monde allait de plus en plus mal. Il était malade comme nous autres. Les extraterrestres auraient peut être la solution. Enfin c’est ce que prétendait S. et les autres. Pour ma part, je trouvais toutes ces théories inquiétantes. N’était ce pas simplement un dérèglement de notre cerveau?
Chaque semaine j’aimais faire un tour à la bibliothèque. Je la connaissais depuis tout gamin. C’était en quelque sorte une seconde maison. Le moindre recoin m’était familier. Et ses livres m’avaient bercé tout le long de l’enfance. Chaque étage correspondait à une période de ma vie. Chaque livre était relié à un souvenir.L’édifice remontait aux années quatre vingt. Certains coins prenaient la poussière mais je m’y sentais bien.C’était aussi l’occasion de discuter avec des gens. Depuis le temps, les bibliothécaires me connaissaient tous. Un jour, je tombe sur ce roman de Guillermo Rosales, Mon ange. Je découvre cet auteur, qui comme moi est schizophrène. Je songe que cela doit être possible d’écrire malgré la maladie. Mon ange est parcouru par une réelle poésie, une grande douleur et parfois une extrême cruauté, car ceux qui ont atterri dans ce boarding home, sorte d’asile géré par des intérêts privés, ont à peu près tout perdu. Leur dignité mais aussi leur raison. L’expérience dans ces lieux de Guillermo Rosales, nourrira ce roman et la terrible tristesse qui se dégage de cet univers psychiatrique. Mon ange, c’est l’espoir de s’en sortir au milieu de ce monde en tout point insensé. Une histoire d’amour parmi les fous. Parvenir à transmettre cette émotion, a du donner un but à son existence. Peut être un jour parviendrais-je à poursuivre son chemin, pensai-je…
Le ciel est parcouru de nuages. Je songe à l’époque où je voulais mourir. A l’hôpital, j’entendais des voix et j’étais déprimé. Petit à petit, j’ai remonté la pente. Dorénavant j’arrive à nouveau à lire. Je passe mon temps au centre ou à la bibliothèque. Je me suis fait de nouveaux amis. Il y a S., et le gros qui a voyagé en soucoupe volante. Ma vie a prit une nouvelle trajectoire. Le soir, j’écris dans mon journal. Il est question de la venue des extraterrestres. Ma psychologue m’invite à travailler à nouveau. La plupart du temps, je contemple la nature. Je traine dans les allées du parc de la roseraie. Je lis un livre sur un banc sous les arbres. A travers la vitre de Soseki. C’est un journal qu’il a rédigé alors qu’il était malade. Je rêve secrètement d’écrire aussi bien. C’est l’hiver 2012. Est ce que je vais enfin renaitre?
S. me conduisit à Créteil à la maison des personnes handicapées. Je devais rencontrer là-bas une psychiatre qui serait chargée de faire le point sur mon état. J’appréhendais cette rencontre. Non seulement c’est elle qui m’accorderait ou non l’allocation handicapée mais peut être trouverait-elle une solution pour ma vie future. J’entrais dans son bureau l’air affecté. Elle me posa une série de questions sur mon quotidien.
- Et vous entendez toujours des voix?
J’avouais ne plus en entendre grâce aux médicaments. Elle me regarda l’air méprisante.
- Et qu’attendez-vous de nous?
J’hésitais. Je ne me sentais pas à l’aise.
- Je voudrais qu’on m’aide, je finis par conclure.
Un mois plus tard, on m’accordait l’allocation handicapé et on me proposait de me rendre dans un centre pour une formation.
Par la fenêtre, se découpe le ciel en larges bandes bleues, tachetées de nuage blanc. Le chat se prélasse sur la moquette de la chambre jaune. J’envie ceux dont la destinée est d’écrire. La description du paysage pourrait être un moteur à la création. Mais je suis incapable d’écrire le moindre mot. Le cahier me parait étrangement vide. De ma main gauche, je caresse la surface lisse et ondulée avec circonspection. Et l’idée claire et précise que ma main droite est incapable de noircir cette feuille végétale, entraine dans mon cou une contraction douloureuse et durable. Je masse donc avec précision mes membres endoloris dans l’espoir de voir la page blanche se remplir de noirs symboles et d’affreuses pattes de mouche. Mais déjà je sens une douleur dans la paume de ma main tenant le stylo. C’est cette rigidité et absence de souplesse qui m’interdisent une récolte riche en verbe et noms propres. De l’autre main, la main gauche, je me gratte le nez, me servant en cela de mon appendice comme d’une guimbarde, avec l’illusion que cela interfère avec mes pensées et qu’une idée prodigieuse viendra éclore au contact de la surface molle parcourue de pilosité. Et au fur et à mesure que je parviens à produire des signes sous la pression de mon crayon, la douleur dans mon épaule gauche vient à s’amoindrir.
Le centre A était à Gentilly. Je retrouvais là-bas S. qui participait à une autre session. L’endroit était agréable. Il y avait notamment une salle de pause où l’on pouvait discuter avec les autres patients. Le but de la formation était de retrouver un travail. On devait réfléchir à l’emploi que l’on aimerait exercer. Pour sortir de la dépression, on participait à de nombreuses activités qui me plaisaient beaucoup. On était notamment chargé de préparé un exposé sur un thème de notre choix. Je décidais de m’intéresser aux problèmes d’alimentation dans le futur. Informatique, arts plastiques, nous étions désormais occupés toute la semaine. Petit à petit, je sortais de ma période dépressive. Je faisais la connaissance de H. qui était dans le même groupe que moi. Elle était elle-même malade mais elle m’intéressait. Elle avait les yeux verts et de la tristesse dans le regard.
Le soleil tapait fort. C’était l’été 2013. J’étais schizophrène mais amoureux. Dans les couloirs du centre, je suivais H. partout. La vie reprenait son cours. J’écrivais des nouvelles sans but précis. Peut être qu’on pourrait s’en sortir? Qui sait?
La vieille chinoise s’est mise à hurler. Elle était au bout de la table. Elle ne faisait pas semblant. Elle était vraiment agitée.
“ Corbeaux. Corbeaux. C’est tous des corbeaux!”
Les infirmières ne réagissaient pas. La vieille continuait pourtant à hurler. J’ai essayé quand même de manger malgré ses cris. On devait être un vingtaine dans la salle de réfectoire. Aux murs étaient exposés les tableaux des patients. Au bout de quelques minutes, la chinoise se calma. On put manger tranquillement. Cela faisait déjà une semaine que j’étais à l’hôpital. J’entendais toujours des voix. J’avais sympathisé avec un patient. Son truc à lui, c’était les extraterrestres. Ils s’adressaient à lui. D’autres se prenaient pour Dieu ou des personnages célèbres. Après le repas, on avait droit à une pause cigarette. Cela se passait dans la cour. On pouvait s’asseoir sur des bancs dehors malgré le froid.
Le gros qui avait voyagé en soucoupe volante répètait inlassablement :
- Rh heu…Rh heu…La sphère se rapproche…Nous devons partir.
Nous étions tous là, dehors, dans le froid de l’hiver. Dans le petit jardin, la neige tombait sur l’herbe encore verte. Et si c’était simplement la fin du monde ?
-Quelqu’un veut une autre cigarette, proposa l’infirmière.
C’était Décembre. Je déambulai dans les couloirs aux murs pâles. On était nombreux à être désoeuvré. A cause des médicaments, je ne pouvais lire. Impossible de se concentrer. Certains jouaient au baby-foot près du réfectoire. On entendait toujours des cris ici ou là. Marcher dans les couloirs, cela occupait le temps. Parfois on rencontrait un autre malade. On discutait alors de ce qui nous était arrivé. Pour ma part, j’étais monté sur le toit de ma maison tandis que j’entendais des voix. Depuis j’étais hospitalisé à l’hôpital P. J’occupai une chambre avec un autre patient. Partout c’était des murs blancs. Sur une table basse, j’avais installé des livres et des magazines mais à part regarder les images, j’étais incapable de rien. J’évoquai ce problème avec la psychiatre de l’établissement. Elle me répondit qu’il me faudrait du temps pour me remettre de cette crise-là.
Dehors, on avait installé sur la terrasse une grande table et des chaises. On sortait tous pour fumer. S. était persuadé que tôt ou tard les extraterrestres débarqueraient sur terre. C’étaient eux qui nous envoyaient ces messages télépathiques dans nos têtes. J’étais perplexe. Pourtant, je continuais à entendre des voix malgré les médicaments. Une des patientes racontait que son père était Dieu. Sur la table, on pouvait lire des inscriptions étranges sur Jésus ou les extraterrestres. Petit à petit, on s’habituait à ce nouvel environnement. Les infirmières nous surveillaient. Nous étions là pour un moment.
L’autiste était un génie aux échecs. C’était simple, personne n’arrivait à le battre. Et il détestait perdre. Que cela soit au ping pong ou à un jeu de cartes, cela le mettait dans des colères noires. Le seul qui acceptait de jouer avec lui était S. Dans le réfectoire, ils installaient l’échiquier. Mais les parties étaient souvent courtes. L’autiste était le plus fort. Pendant ce temps là, les patients aimaient allumer la télé. Ils regardaient des clips musicaux insupportables. Dans ces moments là, je partais dans ma chambre.
La psychiatre me conseilla de participer à une psychothérapie. Il s’agissait de raconter son histoire. Dans le fond, c’est un peu ce que je faisais en écrivant mon journal. On devait remonter jusqu’à l’enfance, comprendre ce qui n’avait pas marcher. J’étais dans un tel état que je ne déclinais pas l’offre. Après tout, c’était la seule alternative qui m’était proposé.
J'ai allumé une cigarette. La lune baignait dans la voûte céleste sombre et bleue. De par la fenêtre, j'observais le chat qui se promenait sur le toit. J'étais enfin sorti de l'hôpital psychiatrique et c'était le début d'une nouvelle vie. Quel horizon m'attendait au dehors ? J'ai pesté contre la terre entière...Le gros avait ricané d'un air mauvais.
-Imbécile, on est toujours en prison, il avait dit.
Les arbres étaient auréolés de fleurs blanches aux feuilles vertes pâles. Le chat, Gogol marchait maintenant dans l'herbe. Combien de malades, j'avais croisé sous le firmament étoilé ? Ils étaient tous là, attablés dans le petit parc de l'asile. Une drôle de prison où finissaient les âmes égarées !
-Bordel à queue, ce cheval ne vaut pas un clou, avait crié la vieille.
Je me suis installé en terrasse, et ai commencé à boire un café.
J'observais le ceriser en fleur au fond du jardin. Le chat Gogol vint me rejoindre à mes pieds. Et si la vie était malgré tout agréable. Je caressais le chaton avec calme.
Le cerisier était vêtu de fleurs roses où s'immisçait le vent. C'était l'heure de mes médicaments. Parfois, j'entendais des voix dans ma tête. Pour l'heure, je devais réfléchir aux jours prochains. Il y avait du monde à voir. Partout, de nouvelles couleurs à décrire sur le papier.
On pouvait apercevoir sous la lune de petites maisons blanches nichées sur les collines dorées par les champs de blés. Le dimanche on jouait au ping-pong ou on se baignait dans la piscine. J’étais parti à la campagne, histoire de me refaire une santé. Je n’entendais plus de voix mais je restai assez déprimé. Je lisais le postier, le premier roman de Bukowski. Il y a dans son écriture une véritable énergie, celle d’un puncheur. J’étais bien incapable malgré mes tentatives d’arriver à son niveau. Je me forçais pourtant à écrire afin de ne pas sombrer. Mon père paraissait inquiet de ma situation. Mais j’étais bien incapable de redresser la barre. Dans la chambre, je me reposais en attendant que mon mal passe.
A la campagne, mon grand-père jouait aux courses. Tous les matins, on partait en mobylette faire un tiercé dans un café de campagne. Il m’expliquait le but du jeu, les meilleurs coups, comment trouver les chevaux gagnants en lisant le journal.
Sur la table de la cuisine, cela sentait bon le café que préparait ma grand-mère avec un petit moulin, une antiquité. Mon grand-père m’apparaissait comme un géant à la force Herculéenne. Il arborait fièrement une casquette sur sa tête. Pépé avait traversé la guerre, prisonnier dans les glaces de Russie.
-C’est facile ça… gagner aux courses, je lui dis !
-Gros malin…C’est très compliqué, il me répond en riant.
C’est ici que ma vie a débuté, dans la maison du moulin à Sainte croix avec Pépé et Mémé Oizo et moi, le gros malin. On entend les canaris siffler dans la cage bleue. Le temps est au beau fixe. C’est un drôle de soleil qui vient illuminer les étendues vertes. Moi, ce que j’aime, c’est les histoires. Je ne sais pas lire encore. Mémé Oizo me fait la lecture, au bord du canal qui longe la maison. Sur la bordure du pont, le chat Mickey mange une sardine. A côté il y a cette magnifique grange à l’ombre d’un cyprès.
-Bientôt tu pourras lire tout seul, et faire des tas de choses…Dans quelques années qui sait ce que tu deviendras ?
-Oh non…Mémé…Moi je ne saurais jamais rien faire.
-Mais bien sûr que si bêta, tu sauras faire des choses…Tu travailleras même.
Dans le salon Pépé Oizo lit le journal hippique. Aujourd’hui il est inspiré, le tiercé est à portée de main. On file dans le moulin chercher la mobylette. Je suis installé devant, les cheveux au vent. A droite, c’est des troupeaux de moutons qui broutent l’herbe épaisse. Partout il y a des côtes et des collines verdoyantes, et dans le lointain les montagnes des Pyrénées. A gauche, apparait une église et son clocher qui sonne dix coups. D’ici, on peut voir tout le village, l’ancien monastère et ses annexes. C’est un endroit d’un autre temps. On va se garer devant un petit café qui fait aussi station-essence. Pépé Oizo commande un pastis et pour moi, un diabolo menthe.
Des hippies sont attablés là avec leurs chiens. Pépé fait la discussion avec des collègues de bar. En dessous la terrasse du café coule une rivière. Des branches d’arbres forment un petit barrage en son milieu. Popeye a déjà fait perdre Pépé Oizo, la semaine dernière. Il nous doit une revanche.
-Tu n’y connais rien…Aujourd’hui c’est son jour ! Popeye va gagner de deux longueurs.
Ses amis ne sont pas convaincus. Ils rigolent.
-C’est un crève-cœur ton Popeye…Il ne sera jamais là !
Pépé est furieux. Il fulmine sous sa casquette.
Il faisait chaud. On se baignait dans la piscine. Au loin, on pouvait apercevoir les champs de blés. Je n’entendais plus de voix. Mais je n’étais pas guéri pour autant. Tous les jours je prenais mes médicaments. Les corbeaux dans les arbres me faisaient une drôle d’impression. J’avais le sentiment qu’ils étaient des messagers d’une autre dimension. Des cris retentissaient dans la campagne alentour. J’observais les carrés verts où paissaient paisiblement quelques vaches. Je décidais de m’éloigner, de faire une ballade en vélo en direction du village de mon enfance. Il y avait une quinzaine de kilomètres.
Plus je me rapprochais, et plus ressurgissaient les souvenirs enfuis du passé. Tout cela semblait graver dans les falaises, dans les bois, la forêt. Quel enfant avais-je été ? Hier encore, je parcourais cette même route sur un vélo plus petit. Dans cette ferme, à droite, j’allais chercher le lait pour ma grand-mère. Dans cette rivière, près de cet arbre, j’avais joué aux pirates avec des gamins du coin. J’éprouvais des difficultés à pédaler. La forme me manquait. Je continuais malgré tout…Urf…Urf…Envoyer de l’oxygène dans les poumons….Des douleurs intolérables dans les genoux…L’enfance était encore loin !
Je pouvais apercevoir le clocher de l’église du village. Je pédalais. A gauche, c’était le cimetière où étaient enterrés mes grands-parents ! J’avais une sensation curieuse, l’impression de visiter un hameau fantôme. Tous ceux que j’avais connus ici avaient disparu. Tous les commerces étaient fermés. Ici c’était la France d’il y un siècle. Je pouvais ressentir les esprits lointains. Ceux qui avaient fait la guerre 14-18, la France rurale. Je me souvenais également des hippies qui s’étaient installés ici. Toutes les vies du passé qui venaient flirter avec ma mémoire. Finalement, je parvenais à trouver un restaurant, que je ne connaissais pas, où je pourrai boire un verre. Je m’asseyais en terrasse. Dans le fond du jardin, c’était des bois et de la friche. Je me souvenais de cet endroit, c’était là même où je me promenais il y une vingtaine d’année. Soudain je l’aperçu, l’enfant aux yeux verts !
C’était moi, là, caché derrière un arbre, je devais avoir dix ans. Il me regardait aussi.Il me demandait ce que j’étais devenu ?
Je ne savais quoi lui répondre, mais j’avais le sentiment de me reconnecter à moi-même. Mon esprit devenait limpide !
J’étais un pirate, un apache perdu dans la vaste forêt !
J’aurais pu pleurer mais cela n’aurait rien changé à l’affaire !
Seul, le petit indien perché dans le grand chêne me regardait encore.
Le cheval était à 80/1. C’était un inédit, c’est à dire un cheval qui n’avait jamais courru contrairement à d’autres partants. J’avais consulté son profil sur la catalogue des ventes de Deauville. Je savais que le cheval était parfait. Cela me faisait drôle de revenir dans un café PMU. Je considérais ces endroits comme des sortes d’hôpitaux psychiatriques tant on croisait de cas pathologiques. Des joueurs s’étaient amassés devant l’écran de télévision. Certains hurlaient, encourageant leurs chevaux. D’autres consultaient les journaux sur un coin du bar. Tous étaient happés par les courses et bien peu n’étaient là que pour boire un verre. Je me suis dirigé au guichet et est joué vingt euros gagnant et placé sur le poulain.
- Tu vois quoi, il me demande comme ça!
- Le douze, je lui dis.
- Aucune chance, il me fait.
Je me dirige vers le bar pour me commander un café. Le cheval est dans un état magnifique comme je m’y attendais. Le seul souci est l’entraineur. Un tchèque avec des statistiques pas terribles. Mais je sais que le cheval a été acheté cher. Le poulain démarre en tête. Il a l’air en pleine forme. Sa robe alezane se découpe sur le vert du gazon. Les autres sont des mauvais chevaux. Je commence à croire à mon étoile. Il a pris trois, quatre longueurs d’avance. J’exulte. L’alezan passe le poteau en tête. Je me suis fait un salaire en deux minutes. Pas mal pour un psychotique! Je crie à tue tête dans le bar “Hourra”. Les autres me regardent.
J’ai empoché l’argent et je me suis acheté un télescope. Je l’ai installé au grenier, dans ma chambre. Dans la nuit bleue, je regardais la lune et ses cratères. Si S. avait raison, les extraterrestres se trouvaient quelque part dans le ciel. Le chat venait se frotter à mes jambes. Les astres clairs brillaient dans le firmament. Je n’étais pas grand chose, moi, au milieu de l’immensité cosmique. Quelque part, peut être, un extraterrestre entendait, lui aussi des voix. Il habitait dans un hôpital, avec ses amis martiens. Le soir, ils se lançaient dans de longs conciliabules pour envahir la terre. Et puis le chef des infirmiers venaient leur dire d’aller se coucher. Alors, ils râlaient puis finissaient par obéir. Je ne connaissais pas le nom des étoiles. Je devais lire des revues sur le ciel et l’espace.
S. était confortablement assis dans le fauteuil jaune de ma chambre, et il s’est lancé dans un long monologue tandis que ma cigarette dessinait des volutes dans l’atmosphère de la pièce. Il était question de l’invasion imminente de forces obscures. Notre civilisation n’en mènerait pas large. Finalement, il me rejoignait sur un point. La fin du monde était proche.
Pendant ce temps-là, le chat se prélassait sur la moquette et contrairement à moi, il n’était nullement impressionné par les élucubrations de mon ami. Je jouais donc avec lui, en attendant que le spectacle se termine. Par la fenêtre la lumière du soleil scintillait sur les feuilles des peupliers.
Mon esprit vagabondait à travers ces pensées confuses tandis que S. continuait son curieux discours. Il faisait chaud dans la chambre sous les toits du grenier. Ne pensez pas que je ne crois pas aux extraterrestres! De là, à les voir débarquer sous peu, je n’étais point convaincu.
S., lui, était passionné par ses théories fumeuses. Combien de minutes dura son long monologue? Je ne peux le dire. Mais, après son passage, je n’étais plus tout à fait le même. Je naviguais, désormais, dans un univers en dehors de la réalité où il était question de forces surnaturelles. Je fis comprendre à S. que j’étais fatigué et que je voulais me reposer, ce qui interrompit son discours. Mais, le lendemain, fut une journée pénible où je fus parfaitement épuisé!
Au centre, on se demandait à quoi ressemblait les extraterrestres. Pour ma part, je n’étais pas convaincu de leur existence. Mais S. nous démontrait par A+B que leur intervention était proche. S. les entendait jour et nuit dans sa tête. Il tentait également de capter leurs fréquences sur sa radio. Les autres penchaient du côté de S. Ils étaient convaincu qu’il avait raison. Tôt ou tard, les extraterrestres allaient apparaitre.Ils étaient des êtres beaucoup plus intelligents que nous autres. Un patient s’était mis à la sculpture pendant les activités. Il tentait de reproduire fidèlement leur apparence. L’ensemble ressemblait à de l’art africain Les silhouettes des créature avaient quelque chose d’inquiétant dans la salle d’ergothérapie. Mais ils connaissaient leur lot de succès auprès des autres patients.
- Les extraterrestres vont trouvé la solution pour l’humanité.
- Il faut sauver la planète, dit le gros.
Tout cela mettait de l’animation au centre. Je continuais à écrire sur la bande. Peut être qu’ils avaient raison. Le jour du jugement dernier était proche. Le monde allait de plus en plus mal. Il était malade comme nous autres. Les extraterrestres auraient peut être la solution. Enfin c’est ce que prétendait S. et les autres. Pour ma part, je trouvais toutes ces théories inquiétantes. N’était ce pas simplement un dérèglement de notre cerveau?
Chaque semaine j’aimais faire un tour à la bibliothèque. Je la connaissais depuis tout gamin. C’était en quelque sorte une seconde maison. Le moindre recoin m’était familier. Et ses livres m’avaient bercé tout le long de l’enfance. Chaque étage correspondait à une période de ma vie. Chaque livre était relié à un souvenir.L’édifice remontait aux années quatre vingt. Certains coins prenaient la poussière mais je m’y sentais bien.C’était aussi l’occasion de discuter avec des gens. Depuis le temps, les bibliothécaires me connaissaient tous. Un jour, je tombe sur ce roman de Guillermo Rosales, Mon ange. Je découvre cet auteur, qui comme moi est schizophrène. Je songe que cela doit être possible d’écrire malgré la maladie. Mon ange est parcouru par une réelle poésie, une grande douleur et parfois une extrême cruauté, car ceux qui ont atterri dans ce boarding home, sorte d’asile géré par des intérêts privés, ont à peu près tout perdu. Leur dignité mais aussi leur raison. L’expérience dans ces lieux de Guillermo Rosales, nourrira ce roman et la terrible tristesse qui se dégage de cet univers psychiatrique. Mon ange, c’est l’espoir de s’en sortir au milieu de ce monde en tout point insensé. Une histoire d’amour parmi les fous. Parvenir à transmettre cette émotion, a du donner un but à son existence. Peut être un jour parviendrais-je à poursuivre son chemin, pensai-je…
Le ciel est parcouru de nuages. Je songe à l’époque où je voulais mourir. A l’hôpital, j’entendais des voix et j’étais déprimé. Petit à petit, j’ai remonté la pente. Dorénavant j’arrive à nouveau à lire. Je passe mon temps au centre ou à la bibliothèque. Je me suis fait de nouveaux amis. Il y a S., et le gros qui a voyagé en soucoupe volante. Ma vie a prit une nouvelle trajectoire. Le soir, j’écris dans mon journal. Il est question de la venue des extraterrestres. Ma psychologue m’invite à travailler à nouveau. La plupart du temps, je contemple la nature. Je traine dans les allées du parc de la roseraie. Je lis un livre sur un banc sous les arbres. A travers la vitre de Soseki. C’est un journal qu’il a rédigé alors qu’il était malade. Je rêve secrètement d’écrire aussi bien. C’est l’hiver 2012. Est ce que je vais enfin renaitre?
S. me conduisit à Créteil à la maison des personnes handicapées. Je devais rencontrer là-bas une psychiatre qui serait chargée de faire le point sur mon état. J’appréhendais cette rencontre. Non seulement c’est elle qui m’accorderait ou non l’allocation handicapée mais peut être trouverait-elle une solution pour ma vie future. J’entrais dans son bureau l’air affecté. Elle me posa une série de questions sur mon quotidien.
- Et vous entendez toujours des voix?
J’avouais ne plus en entendre grâce aux médicaments. Elle me regarda l’air méprisante.
- Et qu’attendez-vous de nous?
J’hésitais. Je ne me sentais pas à l’aise.
- Je voudrais qu’on m’aide, je finis par conclure.
Un mois plus tard, on m’accordait l’allocation handicapé et on me proposait de me rendre dans un centre pour une formation.
Par la fenêtre, se découpe le ciel en larges bandes bleues, tachetées de nuage blanc. Le chat se prélasse sur la moquette de la chambre jaune. J’envie ceux dont la destinée est d’écrire. La description du paysage pourrait être un moteur à la création. Mais je suis incapable d’écrire le moindre mot. Le cahier me parait étrangement vide. De ma main gauche, je caresse la surface lisse et ondulée avec circonspection. Et l’idée claire et précise que ma main droite est incapable de noircir cette feuille végétale, entraine dans mon cou une contraction douloureuse et durable. Je masse donc avec précision mes membres endoloris dans l’espoir de voir la page blanche se remplir de noirs symboles et d’affreuses pattes de mouche. Mais déjà je sens une douleur dans la paume de ma main tenant le stylo. C’est cette rigidité et absence de souplesse qui m’interdisent une récolte riche en verbe et noms propres. De l’autre main, la main gauche, je me gratte le nez, me servant en cela de mon appendice comme d’une guimbarde, avec l’illusion que cela interfère avec mes pensées et qu’une idée prodigieuse viendra éclore au contact de la surface molle parcourue de pilosité. Et au fur et à mesure que je parviens à produire des signes sous la pression de mon crayon, la douleur dans mon épaule gauche vient à s’amoindrir.
Le centre A était à Gentilly. Je retrouvais là-bas S. qui participait à une autre session. L’endroit était agréable. Il y avait notamment une salle de pause où l’on pouvait discuter avec les autres patients. Le but de la formation était de retrouver un travail. On devait réfléchir à l’emploi que l’on aimerait exercer. Pour sortir de la dépression, on participait à de nombreuses activités qui me plaisaient beaucoup. On était notamment chargé de préparé un exposé sur un thème de notre choix. Je décidais de m’intéresser aux problèmes d’alimentation dans le futur. Informatique, arts plastiques, nous étions désormais occupés toute la semaine. Petit à petit, je sortais de ma période dépressive. Je faisais la connaissance de H. qui était dans le même groupe que moi. Elle était elle-même malade mais elle m’intéressait. Elle avait les yeux verts et de la tristesse dans le regard.
Le soleil tapait fort. C’était l’été 2013. J’étais schizophrène mais amoureux. Dans les couloirs du centre, je suivais H. partout. La vie reprenait son cours. J’écrivais des nouvelles sans but précis. Peut être qu’on pourrait s’en sortir? Qui sait?
Sujets similaires
» Un singe sous camisole (suite)
» Un singe sous camisole- Première partie.
» Tokyo : Les pique-niques sous les cerisiers en fleurs annulés
» Un singe sous camisole- Première partie.
» Tokyo : Les pique-niques sous les cerisiers en fleurs annulés
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|